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Échecs et Maths

Dans son émission La méthode scientifique du 1er juin 2017 sur France-Culture, Nicolas Marin évoque les rapport du jeu d’échecs avec les mathématiques.

D’où viennent les échecs ? Quels rapports les mathématiques et les échecs ont-ils entretenu ? Peut-on résoudre le jeu d’échecs (au sens mathématique) ? Comment construire un programme informatique qui joue aux échecs ? Comment fonctionnait Deep Blue ? Quel est le secret de sa victoire contre Kasparov ?

« Assurément, je connaissais par expérience le mystérieux attrait de ce “jeu royal”, le seul entre tous les jeux qui échappe souverainement à la tyrannie du hasard, le seul où l’on ne doive sa victoire qu’à son intelligence ou plutôt à une certaine forme d’intelligence. Mais n’est-ce pas déjà le limiter injurieusement de l’appeler un jeu ? N’est-ce pas aussi une science, un art, ou quelque chose qui est suspendu entre l’un et l’autre ». Ce sont les mots de Stefan Zweig, dans le joueur d’échec et notre programme immédiat : les échecs, les maths, la programmation, l’informatique sans oublier l’instinct, et bien sûr, l’art.

Échec et maths. C’est le problème qui va occuper La Méthode scientifique dans l’heure qui vient. Et autour du plateau deux éminents spécialistes tant du jeu que de ses finesses numériques et mathématiques, Lisa Rougetet, chercheuse en mathématiques à l’Université Charles de Gaulle Lille 3, vous avez travaillé sur l’histoire de la théorie des jeux combinatoires au XXe siècle et Eric Birmingham, maître international FIDE (Fédération Internationale des Échecs), mais aussi journaliste et auteur de la chronique échec dans le journal l’Humanité.

Les noirs ou les blancs ?

Il est pour nous, aujourd’hui, une évidence, en nous installant devant l’échiquier, que les Blancs auront le trait. Et pourtant, cette convention est plus récente qu’on ne le croit. Reliquat peut-être de l’esprit chevaleresque d’antan, d’un Messieurs les Anglais, tirez les premiers  échiquéen. François-André Danican Philidor, dans l’édition originale (1749) de son célèbre traité Analyse du jeu des Échecs, cite un partie dans laquelle les Noirs se déplacent en premier :

Analyse du jeu des échecs de Philidor

Phillip Sergeant, dans son History of British Echecs rappelait qu’Alexander McDonnell (1798-1835), au cours du match qui l’opposa à Labourdonnais, préférait avoir les Noirs en tant que premier ou deuxième joueur. C’était une mode courante à cette époque, qui persista chez un grand nombre de joueurs. Dans l’Immortelle d’Adolf Anderssen contre Lionel Kieseritzky, le 21 juin 1851 à Londres, partie devenue célèbre pour les sacrifices audacieux (deux tours, un fou et une dame), Anderssen a les Noirs, mais joua en premier.

L’Exposition universelle de Londres attira plusieurs dizaines de milliers de visiteurs des pays étrangers. Le Britannique Howard Staunton, considéré comme le meilleur joueur de l’époque, souhaite affronter l’élite européenne. Plusieurs pays envoient leurs meilleurs joueurs et Anderssen représente l’Allemagne, un inconnu pour les Anglais. Mais, en demi-finale, en cinq parties, Anderssen élimine Staunton sur le score de 4 à 1. Une défaite que Staunton, homme sombre et orgueilleux n’apprécia guère, mais qui assoit définitivement la réputation d’Anderssen comme l’un des meilleurs joueurs de l’époque.

Anderssen-Kieseritzky
Adolf Anderssen et Lionel Kieseritzky

Cette partie inspira et ravit d'innombrables joueurs d'échecs. Considérée comme typique de l'ère romantique dans laquelle les joueurs aimaient sacrifier du matériel allègrement pour s'approcher rapidement du roi ennemi. Anderssen débuta également avec les Noirs dans trois de ses parties (6e, 8e et 10e) contre Paul Morphy lors du fameux match de 1858 à Paris, jouant 1.a3 e5 2.c4, une défense sicilienne avec un tempo supplémentaire.

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la pratique des Blancs jouant en premier n’était pas encore devenue une norme. George Walker dans son traité populaire The Art of Chess-Play, A New Treatise on the Game of Chess (1846), énonce les règles du London’s St. George’s Chess Club : le joueur qui joue en premier a le choix de la couleur ; si les joueurs jouent plusieurs parties dans la même séance, le trait changera à chaque partie, mais chaque joueur continuera à utiliser la même couleur qu’il avait à la première partie. Staunton observe encore en 1871 que « beaucoup de joueurs cultivent toujours l’habitude idiote de jouer exclusivement avec la même couleur. »

En 1880, la règle 9 du Tournoi de New-York spécifie : "À chaque ronde, le joueur aura le trait alternativement ; à la première partie, les blancs seront déterminés par tirage au sort et joueront en premier. Dans tous les cas, le joueur ayant le trait jouera les Blancs."

Trois ans plus tard, le Revised International Chess Code, publié au tournoi de Londres en 1883, dans sa règle 2 "Before the beginning of the first game the first move and choice of colour are determined by lot. The first move changes alternately in match play", prévoyait encore que le joueur ayant remporté le tirage au sort le droit de jouer en premier pouvait également choisir sa couleur. En 1889, Wilhelm Steinitz écrit dans The Modern Chess Instructor que "dans tous les matches et tournois internationaux et publics [...] il est de règle que le premier joueur soit les Blancs". Emanuel Lasker se sent encore obligé d'affirmer dans son Manuel, publié pour la première fois en 1927, que "les Blancs jouent le premier coup."