Notre jeu, né dans le bassin indien, transitant par la Perse, balloté dans les fontes des conquérants arabes, parvint en Europe au pourtour de l’an mille. Quand les Échecs arrivent des lointaines contrées d’Orient, les Européens sont déroutés par ce jeu étrange et nouveau, par ces principes, « par la nature et la marche des pièces, par l’opposition des couleurs, écrit Michel Pastoureau, et même par la structure de l’échiquier¹ », ces soixante-quatre cases n’entrant pas dans la symbolique chrétienne des nombres. Le seul point d’accroche sera l’aspect militaire parlant pour l’imaginaire médiéval, violent et guerrier. Pour assimiler ce jeu nouveau, il faudra le remodeler, l’adapter à la pensée féodale. Cette acculturation se fera lentement.
À l’origine, les pièces représentent les éléments de l’armée indienne de manière figurative : la Tour (rukh) est le char de guerre, le Fou (fil), l’éléphanterie si importante dans l’armée indienne, la Reine (firz), proche du roi, en sera le conseiller. Seule la cavalerie, présente dans les armées européennes, restera (avec le roi) inchangé.
Quand les échecs arrivèrent en Perse, le nom sanscrit fut traduit en pil. Les musulmans, pour convenir à la phonologie arabe, le transformèrent en alfil qui donnera notre éléphant. Son mouvement d’origine reste incertain. H.J.R. Murray dans son History of Chess considérait que le saut en diagonale à deux cases était sans doute le mouvement original, faisant alors de l’éléphant et du vizir les pièces les plus faibles du jeu, raison principale, selon lui, des changements qui rendirent l’alfil et le ferz (devenant respectivement le fou et la reine) plus forts dans les échecs modernes à la Renaissance.
La loi coranique interdisant la représentation d’êtres vivants, dès le VIIIe, les personnages furent rapidement stylisés. L’éléphant fut représenté pas un cône surmonté de deux pointes sommitales stylisant les défenses de l’animal. En arrivant en Europe, la pièce quitte le règne animal pour prendre un visage humain sous l’appellation latine peu claire d’alphinus, devenu « alphin » en français. Au XIIIe siècle, l’alphin prend l’équivalence d’un juge, assimilé à l’évêque outre-Manche, les défenses évoquant les cornes de la mitre de l’ecclésiastique médiéval. Peut-être déjà plus frondeur ou plus badin, le français identifie les ergots comme les pointes à clochettes du chapeau du fou, proche du souverain et, s’il n’est juge, il peut être son conseiller. Cette transition fut progressive et l’on reconnait encore dans la niche abritant son évêque, la forme de la pièce arabe.
L’évêque fut introduit sur l’échiquier européen au XIIe siècle, remplaçant l’éléphant de la tradition islamique. La substitution d’un homme d’église à un animal utilisé au combat peut sembler curieuse, mais les évêques médiévaux étaient aussi des combattants et maniaient l’épée aussi bien que le goupillon. À droite, la version guerrière du saint homme, entouré d’arbalétriers. À gauche, le voici dans sa fonction plus pacifique de prélat, avec ses attributs : la crosse et le livre saint.
¹ Michel Pastoureau, Le Jeu D’échecs Médiéval – Une Histoire Symbolique, Le Léopard d’Or 2012.
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