La Reine Alice

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“Vraiment, c’est magnifique ! s’exclama Alice. Jamais, je ne me serais attendue à être Reine si tôt… Et pour dire à Votre Majesté toute la vérité, ajouta-t-elle d’un ton sévère (elle ne détestait pas se morigéner elle-même de temps à autre), il est inadmissible que vous continuiez à vous prélasser sur l’herbe comme cela ! Les Reines, voyez-vous bien, doivent avoir de la dignité !”
Elle se leva donc et se mit à marcher de long en large, avec une certaine raideur d’abord, car elle redoutait que sa couronne ne tombât ; mais elle se rasséréna bientôt à la pensée qu’il n’y avait personne pour la regarder. “Et du reste, dit-elle en se rasseyant, si je suis vraiment Reine, je m’en tirerai très bien au bout d’un certain temps.”
Tout ce qu’il lui arrivait était si étrange qu’elle n’éprouva pas le moindre étonnement à se trouver tout à coup assise entre la Reine Rouge et la Reine Blanche ; elle eût bien aimé leur demander comment elles étaient venues là, mais elle craignait que cela ne fût plus ou moins contraire aux règles de la politesse. Par contre, il ne pouvait y avoir de mal, pensa-t-elle, à demander si la partie était terminée. S’il vous plaît, se mit-elle à dire en adressant à la Reine Rouge un timide regard, voudriez-vous m’apprendre…”
“Parlez lorsque l’on vous adresse la parole !” dit, en l’interrompant brutalement, la Reine Rouge.
“Mais, si tout le monde observait cette règle-là, répliqua Alice, toujours prête à argumenter, c’est-à-dire si, pour parler, l’on attendait qu’autrui vous adressât la parole, et si autrui, pour ce faire, attendait, lui aussi, que vous, vous la lui adressassiez d’abord, il est évident, voyez-vous bien, que nul jamais ne dirait rien, de sorte que…”
“Ridicule ! s’exclama la Reine. Voyons, mon enfant, ne comprenez-vous pas que…” Là, elle s’interrompit en fronçant les sourcils, puis, après avoir réfléchi une minute durant, changea brusquement de sujet de conversation : “Que prétendiez-vous dire en vous demandant “si vous étiez vraiment Reine ?” De quel droit vous donnez-vous un pareil titre ? Vous ne pouvez être Reine, savez-vous bien, avant d’avoir passé l’examen idoine. Et plus tôt nous nous y mettrons, mieux cela vaudra.”

Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir, 1871 (traduction de Henri Parisot, Aubier-Flammarion, 1971)

Un autre extrait…

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