Dans cette enluminure, extraite du magnifique manuscrit Le Codex Wilehalm
de Wolfram von Eschenbach datant de 1334, un des personnages tient une pièce dans sa main.
Est-ce une Tour, un Fou ou un Roi ?
Si vous n’avez pas reconnu la tour, c’est que vous ne vous êtes pas souvenus de ce précédent quiz sur le rukhpersan : c’est bien un Tour, le chariot des origines indiennes, que tient dans sa main ce personnage. Bien que, à l’époque de ce manuscrit, c’était encore le roc (rochus en latin). Remarquez comme ces deux pointes profilées en arc de cercle du rukh arabo-persan évoquent les créneaux d’une fortification et donneront naissance à notre Tour un siècle plus tard.
Ce style perdura pendant plusieurs siècles, remplacé peu à peu par des figurines retrouvant leurs racines indiennes figuratives. Le Roi (shah) et la Reine (firzan) ont une forme identique, interprétée comme un personnage installé sur un trône ou sur un palanquin sur le dos d’un éléphant. La reine est plus petite que le roi. La Tour (rukh), rectangulaire, est généralement deux fois plus large que longue avec une entaille profonde en V, créant deux cornes latérales. Le Fou (fil) est un éléphant, où seulement subsistent les défenses, suggérées par deux protubérances sommitales. Le Cavalier (faras), comme dans nos échecs modernes, est un cheval, stylisé par une seule excroissance pour la tête. Le pion (baidaq) a une forme conique plus ou moins arrondie.
Quel est le nombre de parties possibles : 10 80 , 10 120 , le nombre précis est encore inconnu ?
Chaque partie est unique ! « Le jeu d’Échecs est une mare dans laquelle peut boire un moucheron et se noyer un éléphant », dit le proverbe chinois. Il existe sur l’échiquier plus de combinaisons possibles que d’atomes observables dans l’univers (estimé à 10 80). Cette mare se révèle être un océan aux infinies possibilités où de nombreux mathématicien se sont noyés. Dans les faits, il est presque impossible de donner un chiffre précis.
Dans les années 50, le mathématicien Claude Shannon, dans son article Programming a computer for playing chess, fit un rapide calcul pour déterminer les combinaisons de jeux possibles et arriva au nombre faramineux (connut maintenant comme le nombre de Shannon) de 10 120. Ce nombre reste approximatif et, sans doute, loin de la vérité. Pour Shannon, à chaque point du jeu, 30 coups seraient possibles et, dans chaque partie, 80 coups légaux. Mais dans la réalité, nous savons que cela ne fonctionne pas ainsi, qu’une partie peut durer bien moins ou bien plus que 80 coups et qu’il existe dans le jeu une multitude de micro-coups, au début comme à la fin. Pour longtemps encore, notre échiquier restera un reflet de l’infini.
Le faire part de naissance de notre Reine apparaît dans un manuscrit latin conservé au monastère suisse d’Einsiedeln aux alentours de l’an Mille, le Versus de scachis, le plus ancien poème traitant du jeu des Échecs, décrivant les règles à l’identique du jeu arabe, sinon qu’il évoque la présence d’une Reine comme un fait accompli. Le changement le plus important survenu au cours de l’évolution du jeu fut sans doute l’introduction d’un élément féminin sur l’échiquier, la Reine à la fin du Moyen Âge.
Cette transformation de la figure masculine du vizir en Reine fut progressive. Étrange l’apparition de cette puissante Reine, seule femme de l’échiquier, dans ce jeu si guerrier apparu autour de 500 après J.-C., nous venant des terres perses et arabes où la femme ne jouissait pourtant guère de tant de pouvoir. C’est que notre Dame, comme toutes les dames du monde, a su se faire attendre. Dans les premiers siècles, le compagnon du Roi était ce vizir, conseiller qui gardait la tête basse devant son suzerain. Notre souveraine apparaît, car dans le même temps, hors de l’échiquier, comme le décrit Marilyn Yalom, universitaire américaine, dans son livre Birth of the Chess Queen, l’an mille voit le surgissement politique de femmes tel que Adélaïde de Bourgogne ou Theophano Skleraina. La promotion de la femme et le rôle politique de plus en plus grand de la reine au sein du couple royal ne pouvaient qu’entraîner cette mutation.
Nous utilisons indifféremment Reine ou Dame pour désigner la pièce maîtresse de notre jeux, mais…
Quel terme fut utilisé en premier : Dame ou Reine ?
Au XIVe siècle, reine (orthographiée en France roine ou royne à cette époque) remplaça progressivement fers, fierce et fierge et au XVe siècle, dame commença à prendre le relais. « Reine et dame étaient et sont encore traditionnellement attachées à la Vierge, comme dans Reine du Ciel et Notre-Dame, et les deux sont utilisées en français aujourd’hui pour la reine des échecs. En fait, dans de nombreuses langues européennes, le mot dame, intimement lié à la Vierge, est utilisé comme synonyme ou exclusivement pour la reine des échecs — par exemple, dama en espagnol, tchèque, bulgare et serbe.¹ » Mais pourquoi dans les pays anglo-saxons et germaniques, reine (Königin et queen) ont prévalu ?
Au moment de la grande réforme du jeu, à la fin du XVe siècle, les pays catholiques continuèrent à utiliser les dérivés latin de domina, dame en France. Mais la réforme protestante en Allemagne et en Angleterre, voyant dans la dévotion à Marie de l’idolâtrie, refusa les dérivés de domina qui pouvaient suggérer un lien quelconque avec le culte suspect à la Vierge. Au lieu de cela, les protestants utilisèrent les termes laïques Königin et queen. « Cette différence terminologique entre catholiques et protestants est l’une des raisons pour laquelle la reine des échecs doit être vue comme un symbole de la Sainte-Mère, selon l’historien allemand Joachim Petzold. Il soutient que la reine des échecs est née dans un monde catholique, qu’elle a grandi en stature en même temps que la dévotion à la Vierge Marie, et qu’elle est devenue finalement la seule femme devant laquelle même le roi doit s’incliner.¹ »
¹ Marilyn Yalom, Birth of the Chess Queen (Harper Collins 2004).
IN THE POCKET
Un champion du monde donne une simultanée. Il gagne rapidement la dame d’un de ses rivaux et la dépose sur le côté du jeu. Mais à peine le Grand Maître se penche sur l’échiquier voisin que l’adversaire peu scrupuleux la repose sur l’échiquier. Le jeu continue normalement et le gaillard se vante auprès des spectateurs que le génie n’a rien remarqué. Sept coups plus tard, le champion prend la dame à nouveau et, cette fois-ci, la met dans sa poche sans piper mot et passe au joueur suivant.
Le génial frappadingue Bobby avait une mémoire d’éléphant et ne pouvait guère oublier une dame gagnée ! Plus remarquable encore est le fait que Fischer se souvenait de ses blitz. À l’issue d’un championnat du monde de blitz à Hercegnovi (Yougoslavie) en 1970, Fischer jouait de mémoire et à toute allure ses vingt-deux parties (plus de 1000 coups) ! Et juste avant son match historique avec Taimanov, à Vancouver, en Colombie-Britannique, Fischer rencontrant le joueur russe Vasiukov, lui montra une partie de blitz qu’ils avaient joué à Moscou quinze ans auparavant.
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Club d'Échecs de Besançon : initiation, cours jeunes et adultes, loisirs et compétions individuelles, par équipes, en ligne, etc.